Sauvons Internet

L’internet de Camille Harang se sent en danger. Est-ce également le vôtre et partagez-vous ce sentiment d’urgence ?

Cet article représente également une expérience intéressante dans la mesure où il a été soumis à relecture sur LinuxFr et qu’il s’en est vu ainsi plusieurs fois de suite modifiés. D’ailleurs la version mise en ligne ici est la version 1.0rev3, du 25 février 2005. Rien n’indique que ce soit la version définitive donc n’hésitez pas à repasser sur la page d’origine du document (profitez-en pour faire un tour sur le site de la dynamique et créative équipe de La Ménagerie, vous y verrez entre autres de très jolies vidéos d’animation).

L’illustration sous licence Art Libre est issue du site InVox.

version 1.0rev3
25 février 2005

Les artistes ont toujours su et pu tirer pleinement parti des bouleversements sociaux et techniques de leur époque. Marquant souvent ainsi le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’art, et, en complicité avec le public, dans celle de leur société. Nous nous sommes vus à l’aube d’un tel renouveau avec l’émergence de l’outil absolu de la communication, le réseau Internet. Mais suite à la ruée des startups vers leurs fameuses stock-options, dans un engouement spéculatif aveugle, ne comprenant pas que l’Internet n’était pas qu’un grand magasin à tout et n’importe quoi, la bulle éclata. Emportant cruellement avec elle tous les espoirs qu’elle nous avait fait miroiter. Et c’est les épaules baissées que nous sombrons de nouveau dans la morosité, le désarroi et la conjoncture. L’histoire des Hommes et l’histoire de l’art restent en stand-by. Et c’est dans cette atmosphère d’incertitude, où l’on serait prêt à accepter n’importe quoi, que l’on constate un durcissement législatif et judiciaire inquiétant, appuyé par les ayants droit de l’industrie du divertissement visant à compromettre le rôle fondamental du réseau. Et c’est en toute mauvaise foi, au mépris du bon sens et de la liberté individuelle, que nous assistons à des tentatives de transpositions de concepts issus d’un autre monde et d’une autre époque, envers l’outil le plus moderne que nous n’ayons jamais connu ni même rêvé.

Les peintres de la fin du XIXe ont vu arriver la peinture en tube, certains y trouvèrent un usage intéressant, celui de pouvoir peindre en extérieur. Une pratique qui donna naissance à un mouvement majeur de l’histoire de l’art, l’impressionnisme. À la fin des années 1950, une bande de jeunes cinéastes en quête de fraîcheur et de renouveau utilisent de nouveaux outils, comme la fameuse caméra 16mm qui devint un des éléments centraux de leur « Nouvelle Vague » de l’histoire du cinéma. Les artistes savent s’emparer des outils de leur époque, donnant ainsi naissance à de nouveaux mouvements, de nouvelles idées, éléments essentiels au dynamisme d’une société. En se débarrassant souvent du même coup des lourdeurs du passé, de ses traditions, institutions ou corporations.

« Nous vivons dans ce monde pour nous efforcer sans cesse à apprendre, pour nous éclairer les uns les autres au moyen d’échanges d’idées, et pour nous appliquer avec vigueur à aller toujours plus loin en avant dans la science et les arts. », écrivait Wolfgang Amadeus Mozart dans un lettre au Père Martini, le 4 septembre 1776. Ce type aurait été fou d’Internet, c’est certain. Il n’aurait probablement jamais imaginé qu’une telle chose eut jamais vu le jour, un outil capable de mettre instantanément en relation tout le patrimoine de la planète et ses forces créatrices. Mais s’il l’avait connu il aurait su voir le potentiel exceptionnel du support, et de cette matière numérique, désinvolte, sauvage, virulente, créatrice. Comme toute avancée technique, Internet apporte son lot de nouvelles possibilités, c’est à l’art et à ses protagonistes de les exploiter.

Internet est une source d’informations, et un moyen de diffusion, deux caractéristiques indissociables qui ne sont en fait qu’une, c’est le caractère inter-communicatif d’Internet. Certaines pratiques artistiques sont catalysées par le flot continu de médias qui y transite, comme le détournement, le mixage, la parodie. Diffusion, réplication, transformation sont les maîtres mots du réseau. Par exemple les réseaux Peer2Peer dans lesquels on pioche, on s’inspire, on découvre, on diffuse, et on rencontre son public ou ses nouveaux acolytes. On trouve là une matière première à pensée, à penser, et à repenser. Musique, image, son, texte, vidéo, et tout sorte de médias y sont disponibles, on cherche, on choisit, on s’égare et découvre au hasard des transferts, des morceaux intéressants. Puis on refait le montage d’un clip vidéo, on en crée un de toutes pièces sur un morceau musical intéressant, on retouche un film, modifie les paroles, le montage ou la musique, etc.

Et les productions réinjectées sur les réseaux d’échange sont autant d’engrais apporté au terreau numérique. La création sur le réseau s’auto-catalyse, la production devient exponentielle. Tout ceci bien que la diffusion - contrairement à la réception - de certains documents, protégés par un droit d’auteur soit illicite. Ils s’y infiltrent malgré l’interdiction, de façon presque naturelle et instinctive, car la culture n’est pas une génération spontanée, elle germe sur la production passée, qui, transposée sur le réseau, constitue en grande partie la base de données actuelle. C’est ce qu’exprimait Goethe en épinglant certaines luttes partisanes de son époque : « L’art et la science appartiennent, comme tout ce qui est grand et bon, au monde entier et ne peuvent s’épanouir qu’à travers de libres courants réciproques de tous les contemporains, tout en gardant en permanence à l’esprit ce que nous avons et savons du passé. »

L’artiste sur Internet est donc avant tout un consommateur boulimique de médias et d’informations, ce qui le rapproche du public, et réciproquement le public alimente, discute, promeut et fructifie ce contenu, ce qui le rapproche de l’artiste, et par son initiative, du rôle d’artiste. Les nouvelles productions y trouvent un espace de diffusion et de promotion exceptionnel. Caractérisé par le succès de licences d’exploitation permissives, comme la Creative Commons, auprès des artistes indépendants.

Certains domaines artistiques obscurs peuvent y prendre une dimension nouvelle. Comme celui de la poïétique (étude de l’élaboration d’une œuvre), essentiellement théorique. Mais qui peut trouver une application pratique concrète avec le versioning, procédé de création-conjointe en réseau qui permet de conserver une version de l’œuvre à chaque étape de sa création. Comme Arthur Rimbaud envoyait souvent à ses différents correspondants des versions retravaillées de ses poèmes. La conséquence est ici formidable, car ce principe change notre regard sur l’œuvre, tant il est influencé par son processus de création, l’intérêt de la création glisse de l’objet final au chemin parcouru pour y parvenir. De plus le système permet la création de nouvelles branches de l’œuvre à chaque version et sous-version, l’arbre généalogique des différentes versions devient l’œuvre elle même, l’arbre grandit tant les artistes en ligne y apportent leur contribution.

Des exemples parmi tant d’autres, comme l’accès en profondeur à la matière numérique, permise par des formats de données aux standards accessibles à tous nés du caractère universel du réseau, ou comme le streaming, les wikis, etc. Autant de techniques, qui au travers des artistes, font honneur à leur époque et la dynamisent.

Cependant cette approche moderne, enthousiaste et lucide propre aux artistes ne fait pas l’unanimité. En effet les ayants droit des artistes ont bâti leur business model sur leur droit exclusif à la diffusion des œuvres des artistes. Les créations artistiques sont devenues une industrie, car comme c’était la règle au XXe, une création quelle qu’elle soit ne valait la peine que si elle était industrialisée, c’est-à-dire partagée par tous. Or sur le réseau, les créations n’ont plus besoin d’être industrialisées pour être partagées par tous. Cela signifie que la création n’est plus industrialisable, du moins dans le sens lourd, exclusif et traditionnel du terme. Malheureusement cette industrie n’entend pas remettre en cause son système lucratif bien huilé. Elle compte bien conserver sa position exclusive, ses intérêts et son fonctionnement passé, quitte à sacrifier la liberté des utilisateurs, et le XXIe en frappant Internet dans sa chair.

« C’est du vol » (Le Monde, 17 septembre 2003), ressasse dans les médias Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France, crie au voleur comme une grand-mère à qui on a volé son sac à main, insultant ainsi ses clients au passage, qui font du téléchargement la nuit, mais achètent des disques le jour. Cette association entre la copie et le vol est tristement répandue. Elle est dûe à un sentiment confus et biaisé d’être dépossédé lors de la réception naturelle d’une œuvre par autrui, et à une conception archaïque du rapport entre le virtuel et la propriété du support matériel.

Mais la réplication de l’art, des idées, du virtuel, comme la réplique d’une onde sonore dans l’air est réceptionnée par les oreilles alentours, n’est en aucun cas une dépossession. Malgré cela certaines sensibilités n’y voient pas ce qu’elles ne perdent pas, mais ce que les autres reçoivent, s’ensuit un sentiment de jalousie, de perte d’exclusivité donc d’identité, voire un ressentiment d’ingratitude de la part d’autrui. « Si la nature a rendu moins susceptible que toute autre chose d’appropriation exclusive, c’est bien l’action du pouvoir de la pensée que l’on appelle une idée, qu’un individu peut posséder de façon exclusive aussi longtemps qu’il la garde pour lui ; mais au moment où elle est divulguée, elle devient la possession de tous, et celui qui la reçoit ne peut pas en être dépossédé. Sa propriété particulière, aussi, est que personne ne la possède moins parce que tout le monde la possède. Celui qui reçoit une idée de moi reçoit un savoir sans diminuer le mien ; tout comme celui qui allume sa bougie à la mienne reçoit la lumière sans me plonger dans la pénombre. Que les idées circulent librement de l’un à l’autre partout sur la planète » (Thomas Jefferson, président des États-Unis d’Amérique de 1801 à 1809).

S’ajoutent à cela des siècles au cours desquels le virtuel était lié à un support physique, comme le disque, le papier. Il s’est donc installé dans certains esprits l’idée de la possession du virtuel au travers de son support. Or le virtuel n’est plus lié à un support physique. Mais cette théorie échafaudée sur un concours de circonstances technologiques - rendant indissociables le virtuel du physique - handicape lourdement une éventuelle réflexion au sujet de la copie numérique. On déplore du coup chez la plupart des ayants droit l’incapacité à appréhender le support numérique. Réflexion pourtant indispensable à l’adaptation d’une société à un univers en mutation. C’est avec consternation que nous assistons à cette incompréhension conflictuelle stérile entre ces ayants droits, et le public majoritairement très jeune.

Des hordes d’adolescents boutonneux découvrent, mais surtout re-découvrent le monde dont ils héritent. Débarrassés des idées reçues et des lourdeurs du passé, c’est avec un regard nouveau qu’ils abordent ce monde nouveau. Et c’est parfois avec cette maladresse propre à leur âge, qu’ils nous transmettent cette vision moderne du monde que nous ne savons voir. Venant d’une conviction intime et profonde, que leur utilisation du réseau est légitime et naturelle, ils utilisent Internet comme il doit être utilisé, ils ne volent rien. Ils apprennent, font leurs gammes sur des claviers d’ordinateurs, et pataugent sur les réseaux Peer2peer, bac à sable de la génération du partage. Nous devons écouter et aider ceux qui seront un jour responsables du monde que nous leur construisons.

Pour aborder ces problèmes avec la bonne foi et la lucidité qu’il se doit, il faut tuer le concept scabreux d’un quelconque lien entre la copie et le vol, fruit d’une transposition naïve de concepts issus du monde matériel sur le monde virtuel foncièrement différent. Donnant lieu à des sophismes tels que : « télécharger de la musique sur l’Internet était aussi grave que voler un disque dans un magasin » (Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, Cannes, janvier 2004). Alors, tentons une autre élucubration basée sur ces principes. Si nous pouvions clôner les sacs à mains de grand-mères, crieraient-elles « au voleur ! » ? Y’a pas de raison. Il apparaîtrait même que la copie soit la parade absolue contre le vol des sacs à mains de nos grand-mères ! Cessons d’urgence ces enfantillages, ces amalgames, ces théories de comptoir, qui entérinent tout dialogue courtois et objectif. Et engendrent de vulgaires accusations de « vol », la répression, la remise en cause des libertés individuelles, la prise en otage de la culture et des artistes, et le sabotage d’Internet. Essayer de transposer des concepts issus du monde matériel vers le monde virtuel va à l’encontre de la nature même de ce dernier, ce qui nous conduirait inévitablement à la paralysie. Il serait tout de même plus intelligent d’adapter notre regard au monde virtuel que d’adapter le monde virtuel à notre regard.

Le puissant lobbying de l’industrie du divertissement auprès des élus est fracassant : durcissement de la législation avec la loi sur l’économie numérique (LEN), remise en question de l’email comme correspondance privée, remise en cause de la copie privée, etc. S’ensuit cette odieuse politique de la condamnation par l’exemple, celle de la terreur. Les inquisiteurs du cyber-obscurantisme traînent monsieur-tout-le-monde en justice, bientôt derrière les barreaux. L’industrie voit aussi d’un mauvais œil ce couple idyllique, sacré, dépendant et indissociable qu’est l’artiste et son public, réunis autour des créations dont ils sont copropriétaires. Et elle entend y semer le trouble, afin de le briser, et ramasser les morceaux. Pour ce faire, les majors trompent et prennent en otage certains artistes, ceux dont les centres d’intérêts sont bien loins de ce marasme, en leur faisant voir dans l’usage naturel d’Internet le péril de leur art. Si bien que ne sachant plus à quel saint se vouer, nous constatons chez certains artistes le syndrome de Stockholm, compréhensible, bien que pathétique, visant à défendre leurs ravisseurs contre leur réel défenseur, leur moitié, le public. Syndrome concrétisé par exemple dans la « Lettre Aznavour » (Cannes, 25 janvier 2001). Ou bien le tiraillement intérieur de personnalités hybrides comme le réalisateur-producteur Luc Besson, chef de file du « colloque anti-piraterie » du festival de Cannes 2004. Il traite lui aussi le public de « voleur », les yeux illuminés, comme ceux du lièvre noctambule le sont par les phares de la voiture des vilains internautes, prêts à salir leur pare-choc. L’artiste Luc Besson aurait probablement vu dans l’Internet ce que Godard avait su voir dans la caméra 16mm, mais le producteur Besson l’occulte. S’il en va-t-ainsi, les générations futures n’auront pas beaucoup matière à polémiquer au sujet des causes de l’extinction des dinosaures du cinéma, celle-ci ne pouvant s’expliquer que par une faculté d’inadaptation hors du commun.

Mais le chant du cygne forcené en manque à trop gagner ne trouve pas vraiment son public. Certains artistes refusent de se prêter au jeu des majors, défendent leur public contre la répression judiciaire. Comme le montre la récente pétition « Libérez l@ musique » du Nouvel Observateur (3 février 2005), dans laquelle apparaît un courageux et premier repenti. Ariel Wizman est venu serrer les coudes, et grossir les rangs de ses acolytes, après avoir été utilisé en prêtant sa voix à la campagne anti-piraterie du ministère délégué à l’Industrie (pas celui à la Culture).

L’art et les artistes ne sont bien évidement pas en péril, seule la rémunération - bien maigre en rapport au chiffre d’affaire - de ces derniers par l’industrie du divertissement l’est. Le cinéma existait avant les boîtes de productions, la musique existait avant les maisons de disque, la littérature existait avant les maisons d’édition, et ils existeront toujours après. Le public ne choisira pas non plus entre Internet et les artistes, il aime les artistes, la société à besoin des artistes. Leur créativité est la levure qui fait prendre toute sa dimension à la société. Ils veillent à sa bonne santé mentale : sa clef du voûte, sur laquelle repose sa richesse, sa force de travail, sa dynamique, son audace, son développement. Si la rémunération des artistes par l’industrie du divertissement se fragilise, il faut trouver d’autres canaux pour garantir leur capacité à créer. Mais cela ne peut se faire que dans le respect des libertés individuelles, de la créativité et de l’utilisation pleine et entière du réseau. Toute solution ne satisfaisant pas ces critères est irrecevable.

Mais la répression initiée par l’industrie du divertissement n’a pas qu’une vocation punitive, elle entend bien du même coup remettre tous ces moutons égarés dans le droit chemin. De retour au bercail ceux-ci vont pouvoir aller paître dans les espaces prévus à cet effet, de bons morceaux de musique, pré-sélectionnés aux petits soins de cette même industrie. Les industriels n’entendent pas proposer, mais bien imposer par la répression leurs portails musicaux. Nous auront ainsi la joie d’y retrouver leur modèle économique dépassé, contre-productif et truffé d’intermédiaires, transposé à l’identique. Accessoirement, on y rémunérera marginalement les artistes, comme avant. Compter tout de même une délicieuse variante, celle de iTune, dont le but avoué n’est même pas d’imposer un modèle archaïque de l’économie musicale, mais de vendre des iPods. Toutes les technologies imposées sont bien évidement incompatibles, au plus grand plaisir des généraux du marketing qui segmentent la future carte d’État-Major du marché, en vue de gué-guerres économiques dont le public et les artistes seront la chair-à-canon. Guerres dans lesquelles la qualité et la créativité ne sont qu’une formalité, souvent omise, tant la machine marketing dépasse - en coût et en puissance - le bon goût de chacun. Et même si certains producteurs ont bon goût, ont-ils plus de légitimité que le public pour savoir ce que celui-ci doit aimer ?

Tout cela ne vous rappelle rien ? Un réseau centralisé, dont on est pas acteur mais consommateur passif, sans initiative personnelle, tributaire du contenu et du bon vouloir des entreprises, où l’on paye au coup par coup ? Vous avez deviné, le mourant - pour ne pas dire défunt - Minitel. Un bond technologique de plus de 20 ans en arrière ! On n’est pas passé loin de la carte perforée ou des signaux de fumées. On est en train d’imposer à Internet les contraintes qui ont fait l’échec de son concurrent. Internet est l’autoroute de l’information, à quoi servirait une autoroute si il y avait un péage tous les 10 mètres ? À rien. C’est un recul technologique, liberticide, conséquence d’une politique économique vindicative et réactionnaire, ou tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins ; quitte à mettre les citoyens derrière les barreaux, ou à user de la mauvaise foi en faisant passer le réseau pour une arme de destruction massive de la culture, entendant bien masquer des intérêts économiques opportunistes. La politique de la peur est lancée, « virus », « terroristes », « pédophiles », tout autant de qualificatifs démagogiques lancés à-tout-va pour décrire l’univers dangereux et malfamé d’Internet. On devine déjà le discours du ministère de l’Intérieur : « derrière chaque MP3 il y a un lien avec une activité mafieuse ou terroriste ». Le sentiment d’insécurité est le passage obligatoire pour contraindre un peuple à renoncer à ses libertés. Nous entrevoyons à peine aujourd’hui que le pire est à venir, le top des technologies liberticides version Microsoft (répondant au doux nom de « TCPA / NGSCB / Fritz ») est déjà sortie des cartons ; à suivre. « Celui qui est prêt à sacrifier un peu de liberté pour obtenir un peu de sécurité ne mérite vraiment ni l’une, ni l’autre » (Benjamin Franklin, 1706-1790, père fondateur des États-Unis d’Amérique)

L’Internet actuel est bel et bien le seul garant de la culture et de la liberté d’expression, quiconque peut y voir « Farenheit 9/11 ». Il n’est pas nécessaire de lui dresser des ponts et des palmes d’or pour qu’il daigne bien le diffuser. Seul le partage du patrimoine de l’humanité par l’humanité pour l’humanité sur les réseaux Pee2Peer garantit ces acquis fondamentaux. Ils sont inaliénables, quiconque tentera d’en priver les utilisateurs devra faire face à une résistance féroce. Comme les logiciels libres le font face aux géants du logiciel, comme Wikipédia le fait avec le savoir, la résistance s’organise dans le monde de l’art. Les artistes deviennent indépendants, zappent des Majors, diffusent leurs créations sous des licences autorisant la copie et/ou les modifications, sur des réseaux Peer2Peer de plus en plus insaisissables. Les réseaux cryptés et décentralisés se développent, l’exemple de Freenet en est le plus marquant. On peut lire sur la première page de son site Web l’origine de sa motivation : « Je m’inquiète en permanence au sujet de ma fille et d’Internet, même si elle est trop jeune pour se connecter. Voilà de quoi je suis inquiet. J’ai peur que dans 10-15 ans, elle ne vienne me voir et me demande : Papa, où étais-tu lorsqu’ils ont supprimé la liberté d’expression sur Internet ? » (Mike Godwin, Electronic Frontier Foundation). Quand les internautes auront pris le maquis, Internet sera encore plus opaque et encore moins contrôlable qu’aujourd’hui. La matière numérique ne se dompte pas, elle s’apprivoise.

Pourquoi faire dans la confrontation et dans la sueur ce qui peut être résolu par le bon sens et le dialogue ? La France est la mieux placée pour savoir que l’approche du réseau façon « Minitel » ne marche pas. La nature d’Internet est décentralisée, libre et souple, c’est sa centralisation et sa bureaucratie corporatiste qui à tué son premier concurrent. Sa réapparition serait un goulot d’étranglement à la créativité, et un frein à la modernité. La France ne peut pas retomber dans le panneau. Elle doit tirer les leçons de ses expériences passées, et du même coup son épingle du jeu. Car c’est avec cette expérience, son intelligence et sa culture que le pays des Lumières peut retrouver son rayonnement passé. Elle doit aborder le XXIe de plein pied, avec sang froid et détermination, et que s’en suive naturellement la confiance, le dynamisme, la richesse.

Il faut une solution pour garantir l’accès à tous à cette ressource vitale, rémunérer les artistes, ne pas handicaper le rôle fondamental d’Internet, et ce, sans remettre en question la liberté de chacun. Pour trouver la bonne solution il faut d’abord éliminer les mauvaises, l’industrie du divertissement doit donc céder du terrain. Une redevance sur les abonnements Internet pour soutenir directement la création artistique à été évoquée. Cette proposition pose d’autres problèmes mais semble remplir ces critères essentiels. Dans ce cas il faudra aussi penser à en exempter les familles boursières et les étudiants, fracture numérique oblige. Ce n’est qu’une piste, toute proposition tangible mérite d’être étudiée et approfondie. Mais toute solution doit être accompagnée des outils législatifs adéquats. Il ne faut pas réitérer l’adoption de la taxe sur les supports vierges, censée couvrir la copie privée, sans que celle-ci ne devienne un réel droit. Entretenant dans ce flou législatif un status quo, une épée de Damoclès sur la tête des utilisateurs. La copie privée doit devenir un droit, accompagné d’un droit au transfert privé. La durée du droit d’auteur doit être réadaptée à la dynamique du réseau, et assouplie en ce qui concerne la réutilisation, ou la modification caractérisée d’une œuvre, dans une nouvelle création.

À l’ère de la communication, Internet est en passe de devenir une composante vitale pour l’Humanité, comme l’eau et l’air. Lorsque l’on voit l’état déplorable dans lequel nous avons mis les deux derniers, on prend conscience de l’importance des décisions et des directions que nous prenons aujourd’hui à son égard. On se doit d’en respecter et d’en protéger la fonction, la nature, l’essence, dans l’intérêt de tous.

Camille Harang
  • Sauvons Internet
  • Camille Harang
    version 1.0rev3 du 25 février 2005
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Commentaires

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Sauvons Internet , le 6 novembre 2006 (0 rép.)

Une rémunération des artistes indépendamment de la qualité de leur oeuvre ? Je me déclare artiste tout de suite ! Et pourquoi uniquement les artistes ? Les logiciels ont le même problème : mettons aussi une taxe obligatoire internet pour payer tous les développeurs de logiciels. Non, une autre taxe obligatoire n’est pas la solution. Il faut trouver un moyen pour que celui qui publie quelque chose sur internet ait le choix le rendre payant ou gratuit, et que ce qui est payant le reste ...

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> Sauvons Internet , le 5 mars 2005 par zeropaper (1 rép.)

l’idée n’est pas de moi mais d’un certain Joseph Beuyes. L’essence même de l’art est de se faire remarquer (ou plutôt, ses idées) dans un environnement à priori déjà largement exploré.

Or, l’art actuel est considéré par "la plupart" sous la forme de peinture, de sculpture ou éventuellement de musique. Personnelement, je pourrais très bien peindre un joli paysage, me prétendre artiste mais si il n’y a pas d’intention derrière mon dessin, autant le jeter. De même, un message trop compliqué ne servira à rien sinon à décrédibiliser l’artiste (se prenant pour le centre du monde en général).

Il faut aussi prendre en compte que dans l’histoire, l’art à toujours "servi". De moyen de réflexion ou comme moyen d’imposé le statu-quo, une fois aux mains des renégas et l’autre au mains du pouvoir établi.

Dans cette optique, seul les artistes ayant de véritables choses à transmettre survivront et ce n’est peut-être pas plus mal ? Ou alors, on en reviendra aux insipides Monnet et consors.

-----> http://www.irata.ch

> Sauvons Internet , le 5 mars 2005

Merci... L’art reste un moyen de communication extrêment puissant, un vecteur de message. A l’heure où n’importe quel marchand du temple fait croire au chaland que tout lui est possible, on assiste à une explosion de l’art. Les artistes n’ont jamais été aussi nombreux. Mais qu’en est-il véritablement ? L’art n’est certes pas réservé à une élite. Mais ce qui fait l’art et l’artiste, c’est bel et bien le message. C’est pourquoi la réfléxion précédente me fait extrêmement plaisir. Personnelement, j’assiste dans le milieu de l’art moderne et de la musique électronique à la multplication des "concepts". C’est bien beau d’utiliser telle ou telle forme artistique, tel ou tel instrument, mais si l’on a rien à dire... Le concept devient l’excuse qui permet de faire avaler tout et n’importe quoi. Comme le dit si bien cette phrase célèbre : " Tu peux pas comprendre, c’est conceptuel..."

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> Sauvons Internet - Correction , le 5 mars 2005 par Camille Harang (0 rép.)

J’ai oublié de signer une différence à rectifier pour la 1.0rev3 au niveau :

Il faut une solution pour garantir l’accès à tous à cette ressource vitale, rémunérer les artistes

Camille.

-----> mammique

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> Sauvons Internet (encore une fois ?) , le 2 mars 2005 par Eastwind - vent d’Est (1 rép.)

J’ apprecie votre vision sur les artistes , et internet en général . Je préciserais juste pour ceux que ca interresse que Le medium c est le message . Tout ce qui a été évoqué dans le texte à déjà été prédit 40 ans avant .

source : Marshall Mcluhan

ps : Vos sources m ’interesse :)

liu.qihao@gmail.com

> Sauvons Internet (encore une fois ?) , le 5 mars 2005 par Camille Harang

Merci, je n’ai pas lu "The Medium is the Message", j’espère tourver le temps :-) Je suis un peu pris en ce moment et je n’ai pas eut le temps de rassembler mes sources, lesquelles vous intéressent plus particulièrement ?

Camille

-----> mammique

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> Sauvons Internet , le 27 février 2005 par Claude ( c’est un pseudo ;-)) (1 rép.)

Je suis en train d’ecrire un livre generaliste sur Internet et je trouve ce texte"Sauvons internet" passionnant est il en copy left ? Où peut il être utilisé librement en mettant en avant l’auteur ? Cet excellent texte s’intégrerait parfaitement au reste de mon futur bouquin sur l’éthique, la légalité et les jurisprudences Internet. Merci de me repondre ... Mon email pour l’occasion : sauvonsle3615maitresse@noos.fr  ;-) Merci Claude

PS si l’auteur ou quelqu’un de son entourage pouvait me contacter..Je vous laisse tel et coordonnés si vous le souhaitez...

-----> http://www.framasoft.net/article3642.html

> Sauvons Internet , le 28 février 2005 par armen

Si tu regardes la première page du fichier pdf, tu as la licence utilisée (Licence de documentation libre GNU) et même le lien pointant vers le texte intégral de la licence...

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> Sauvons Internet , le 26 février 2005 par Logan (2 rép.)

Sauvons l’art ! Pas Internet, qui n’est qu’une plate-forme. Et justement l’art et l’histoire du XXIème siècle risquent de tomber dans l’oubli de l’Humanité. Le renouvellement des support, la multitplication des oeuvres (amateurs, professionnelles) seront la cause de la fin de notre ère. Qu’Internet meurt, nous pourrons ainsi repartir sur une base nouvelle et créer de nouvelles alternatives, comme un réseau indépendant et libre où le commerce et l’économie n’y auront aucun droit. Ce qu’il faut pour sauver l’art et les oeuvres (et ainsi la liberté par d’autres chemins) , c’est de mettre en place un système de stockage et d’archivage fiable et commun autant aux acteurs du libre, qu’aux non acteurs du libre. Cette fierté du libre, d’une liberté d’expression inespérée et compromise par les défenseurs de la législation et de la régulation à tout prix, ne doit pas nous aveugler et nous empêcher de voir le trou dans un sac trop plein d’oeuvres. Les artistes indépendants trop content de publier librement leurs oeuvres sur Internet doivent trouver un moyen de les conserver, et pour l’instant ce moyen fiable est la déclaration de l’oeuvre. Sauvons Internet pour ne qu’il s’écroule et fasse disparaître des milliers (certainement des millions, voire des milliards) d’oeuvres. Laissons aux générations futurs une époque trop dense en oeuvres pour qu’elles puissent trier le meilleur de tout cet amas, plutôt que de leur laisser une époque vide et de trou noir culturel. Avant de sauver notre liberté, sauvegardons nos actes et nos oeuvres, malgré les fortes oppositions qui peuvent s’excercer dans ce domaine.

> Sauvons Internet , le 27 février 2005 par Camille Harang

Merci pour votre commentaire, j’apprécie à votre approche révolutionnaire, la meme qui anime bcp d’acteurs du libre, moi aussi donc. Je n’ai pas de préférence pour la démarche à adopter, nihiliste ou réformiste, je préfère la plus productive, et en ce qui concerne internet je trouve la réforme plus réaliste et plus concrète, étant donné la logisitique nécessaire à la création d’un réseau. Internet était au départ ce je souhaite qu’il redevienne, je pense donc que ce support est réccupérable :-)

-----> mammique

> Sauvons Internet , le 1er février 2006 par Martin Lucas

C’est la première fois que je vois posée la question de la durée de vie d’une oeuvre en lien avec celle du net. Avec des suppports de moins en moins fiables (essayez de lire des cd gravés il y a seulement 5 ans), aussi bien numériques qu’analogiques (la qualité du papier dont sont faits les livres ne cesse de baisser, ne parlons pas de celles des textes imprimés), que nous reste-t-il pour faire perdurer les oeuvres ?

La réponse cette fois est organique, et elle est possible lorsque tout contenu sensible (images, textes, films, musique) est traductible en binaire. Internet devient, par son côté décentralisé, un outil de stockage des plus fiables. Plutôt paradoxal pour un réseau par définition constitué uniquement de flux. Cette conservation ne devient réellement effective que lorsque les copies et transferts sont possibles et illimités, lorsqu’une oeuvre peut revivre dans un milieu différent, être en mille endroits différents en même temps, référencée par d’autres oeuvres ou sources d’informations, pour ne pas tomber dans l’oubli. D’ou l’expression "organique", en référence à la capacité d’adaptation des organismes vivants par la REPRODUCTION et la MUTATION. Encore faut-il bénéficier d’un terrain favorable.

C’est pourquoi, tant que nous n’aurons pas trouvé des supports qui soient suffisamment fiables pour conserver nos créations (ce qui parait compromis), la LIBERTE est une condition sine qua non, de la préservation de notre patrimoine. Certains éditeurs musicaux ont tout intérêt à nous rendre amnésiques, occupés qu’ils sont à nous vendre du vieux pour du neuf. Ils trouverons aussi très intéressant de restreindre nos horizons musicaux, pour nous obliger à acheter leurs produits médiocres.

Plus généralement, le net est actuellement un puissant remède contre l’oubli, la désinformation, et un outil de civilisation. Contrairement à ce que certains essayent de faire passer comme une vérité, l’homme n’est pas un loup pour l’homme sur le net, et liberté ne rime pas avec foire d’empoigne.

C’est débarrassé du problème de la représentation et de intérêts à court terme, que l’homme devient civilisé, et par un effet de régulation quasi mécanique, les comportements incorrects sont assez vite dénoncés (je parle évidemment des sites libres, spontanés, non promotionnels, et non commerciaux). La différence avec le fonctionnement de la société « concrète », est que le contradicteur, même face au plus grand nombre, même malhonnête, a toujours voix au chapitre, et chacun peut se faire une opinion. C’est sans doute cet accès au statut de citoyen à part entière qui irrite le plus nos autorités économiques et politiques...

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