Un amendement révélateur

Reprise d’un billet du blog de Philippe Aigrain.

Illustration Oros II par Bill Dimmick sur Flickr sous CC BY

Ce que le dépôt au parlement de l’amendement Vivendi-Universal/CSPLA nous apprend sur l’UDF, l’UMP, le fonctionnement actuel de l’Etat et la cécité d’un certain nombre d’acteurs industriels.

L’amendement au projet de loi DADVSI (écrit par son principal membre Vivendi-Universal) tel qu’il a été repris et peaufiné par le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) vient d’être déposé (amendements 150 et 151) à l’Assemblée Nationale par MM. Dionis du Séjour et Baguet pour l’UDF et par M. Mariani pour l’UMP. Cet amendement assimile au délit de contrefaçon l’écriture ou la diffusion de tout logiciel d’échange d’information qui n’incorporerait pas des mesures techniques ou autres DRMs destinées à empêcher qu’il soit utilisé pour partager sans autorisation des peuvres partagées. Si les dispositions de la directive européenne IPRED-2 (en cours de refonte) sont adoptées, il rendra ces mêmes activités passibles de sanctions criminelles. En prime il rend les fournisseurs de moyens de toute sorte responsables de partages non autorisés d’oeuvres protégées dont on prétendrait qu’ils sont "manifestement" massifs, et de la même façon ceux qui provoqueraient par quelque moyen que ce soit à de tels usages.

Même si l’on suppose, ce qui n’est jamais prudent, que ces dispositions ne donneront lieu qu’à des procédures de bonne foi, elles ont en leur principe même, dans leur simple existence, un effet démesuré. En effet, elles imposent à tous ceux qui veulent développer des échanges libres volontaires de mettre en place des dispositifs de contrôle et de restriction qui ne sont en rien nécessaires à leur propre but. Par là on les force à renoncer à ce qui constitue la valeur même de l’ère de l’information : la réduction fantastique des coûts de mise en place d’outils de création, collaboration et échange, et la baisse immense des coûts de transaction dans les pratiques liées. Pour les besoins de la survie et de l’expansion d’un modèle commercial particulier de 3 majors musicales et d’un petit nombre de majors cinématographiques on entend priver chacun de la possibilité de créer, penser, fabriquer des outils et collaborer avec les autres en utilisant les médiations informationnelles. Je l’ai déjà dit, si mercredi prochain cet amendement est voté, des centaines de milliers de personnes (pour la seule France) basculeront dans la désobéissance civile que constituera alors l’écriture, la diffusion et l’usage des logiciels libres, y compris ceux qui font fonctionner les protocoles de base d’internet. Elles le feront avec une tristesse d’autant plus forte que des propositions étaient sur la table qui assuraient la poursuite parallèle du potentiel des modèles de distribution basées sur les droits réservés et de ceux qui jouent totalement ou partiellement la carte de la collaboration sur la base des biens communs.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Lorsque j’ai vu les première moutures de cet amendement, l’optimiste que je suis pensais avoir affaire à un texte si évidemment absurde dans ses effets, qu’il ne pouvait être qu’une sorte de provocation destinée à détourner l’attention d’autres dispositions proposées qui étaient plus difficiles à juger dans leurs effets. D’où venait ma naïveté ? D’une sous-estimation sans doute de 4 facteurs :

  • Le poids de Vivendi-Universal à l’intérieur de l’UDF, notamment à travers l’influence de la députée européenne Janelly Fourtou. Quel autre mécanisme peut-il en effet expliquer qu’un député comme M. Dionis du Séjour, dont tous les amendements dans le processus législatif sur la loi DADVSI étaient animés du sens des intérêts des usagers et des créateurs et de l’équilibre entre formes de distribution des contenus culturels, accepte d’accoler son nom à un pareil amendement ? Tout le monde peut avoir à un instant été victime d’une manipulation. Il n’est pas trop tard pour retrouver ses esprits. S’il vous plait M. Dionis du Séjour, s’il n’est pas possible pour vous de retirer cet amendement, appelez au moins à voter contre.
  • Le dépôt du même amendement par l’UMP s’explique sans doute par d’autres facteurs, instructions gouvernementales bien sûr (voir plus bas), mais aussi le poids qu’y ont pris l’idéologie du service des hyper-riches et des clientèles et le fondamentalisme de la propriété. NB : la propriété lorsqu’elle s’applique à l’univers matériel et constitue un droit des personnes est un droit fondamental, seule son extension à l’information et ce qu’elle représente et le traitement indifférencié des entreprises quelle que soit leur taille et des personnes méritent l’appellation de fondamentalisme de la propriété. Or il se trouve qu’il reste de nombreux députés qui à l’UMP ont une autre vision du service de l’intérêt public. A eux aussi de le prouver en votant contre cet amendement.
  • Le gouvernement a argué de la nécessité de bâtir la loi DADVSI sur un consensus de la communauté des auteurs et de leurs droits pour retarder l’examen de la loi jusqu’à la construction de ce consensus au CSPLA. Or loin de ce consensus, il a obtenu une fronde sans précédent d’une minorité des membres (représentant des enjeux et des intérêts qui ne sont pas minoritaires) et une indignation sans précédent devant la découverte de ce qu’un conseil chargé de conseiller le gouverment en matière d’intérêt public pouvait se comporter comme simple service juridique au service d’un lobby étroit. Allait-il en conclure qu’il fallait rester prudent et s’en tenir à des dispositions mesurées ? Pas du tout, le gouvernement n’a reculé devant aucune effort pour obtenir le vote d’un texte maximaliste au CSPLA et la reprise de ses orientations par les députés UMP (convoqués pour l’occasion par le Ministre de la Culture). Il traite avec un mépris absolu la bientôt centaine de milliers de signataires de la pétition eucd.info qui constituent un échantillon réjouissant des acteurs culturels, sociaux, techniques, de la jeunesse, de l’enseignement et des médias, de tous milieux sociaux et lieux géographiques. Je ne me réjouis pas du mépris qui rejaillera en retour sur lui.
  • Enfin, comment se peut-il que des industriels qui investissent des sommes et des efforts considérables dans le développement de techniques d’échanges qui n’ont aucune chance de se développer si l’amendement était voté soient aussi passifs ? A cela il y a sans doute deux explications : l’une est l’absence totale chez certains de vision stratégique sur les contextes nécessaires au développement de ces nouvelles applications et nouveaux marchés. L’autre est l’imagination qu’ont les plus gros d’entre eux que leur taille même les protégera des pires effets de l’amendement VU. Là aussi il n’est pas trop tard pour se réveiller. Certains de leurs concurrents américains ou européens ont su bâtir une synergie avec les usages sociétaux de l’informatique, et ont compris dans ce processus qu’il fallait pour celà respecter leurs besoins et leurs engagements, les servir en d’autres termes.
Philippe Aigrain

Commentaires

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Un amendement révélateur , le 23 décembre 2005 (1 rép.)

Quelques jours ce sont écoulés. Pour l’instant les choses ont été modifiées. Je dirais même que l’UDF (par rapport à ce que tu écris) à changé de comportement par rapport au logiciel libre, et même le soutien ouvertement.

Un amendement révélateur , le 25 décembre 2005 par Ares86

et a André Santini la e-petition, esperons que cela passe : http://www.santini-andre.com/2005/12/epetition.php#more

Cela aurait permis de reconnaitre officiellment la petition contre la loi DADVSI.

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Un amendement révélateur , le 19 décembre 2005 (0 rép.)

l’etat est en train de "vendre les meubles", et je suppose que leur but est de vendre toutes les institutions et ne garder que le budget, la police et l’arme.... donc, pour l’achat de nouvelles licences, ca ne sera plus a eux de le gerer.. :)

concernant le dadvsi, ne serait elle pas une introduction de la validation de palladium ? (voir : http://www.framasoft.net/article641.html )

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Un amendement révélateur , le 18 décembre 2005 par Christian (0 rép.)

Plus tôt que de vouloir pondre des Lois répressives et inapplicables, les politiciens Français feraient mieux d’obtenir des vrais résultats dans la lutte contre le chômage et aussi de s’appliquer à résoudre ce grave problème de banqueroute de l’état Français.

Excellent article.

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Un amendement révélateur , le 17 décembre 2005 (0 rép.)

Cette loi est stupide et se révèlera fort couteuse pour l’état français qui adopte de plus en plus des logiciels libres comme OOo et Firefox. C’est pourquoi je pense qu’elle est vouée à l’échec car en l’état elle ne sera applicable pour l’état français sans lâcher des dizaines de millions d’euros en achat de licence. Quand viendra le moment de sortir le chéquier pour débourser sans compter l’achat de licences bureautiques, etc, il s’en trouvera bien un dans ce tripot d’andouilles pour s’indigner d’avoir a dépenser autant d’argent !

Faut-il avoir confiance en l’avenir, je pense que oui ? De plus, il y a belle lurette que je n’achète plus de CD musicaux car il m’est devenu impossible d’en graver une copie afin d’écouter mes musiciens préférés dans ma voiture. Les originaux sont horriblement chers et je ne souhaite pas courir le risque de me les faire voler ou de les voir se déformer sous la chaleur du soleil (j’habite dans le sud). J’ajoute que c’est essentiellement dans ma voiture que j’écoute de la musqiue (radio...).

Quand les gamins ne pourront plus transférer leurs morceaux préférés dans leurs lecteurs mp3, hé bien ils feront comme beaucoup, ils arrêteront purement et simplement d’acheter de la musique. Ces multi-nationales seront-elles alors les grandes gagnantes ? Après tout n’est-il pas temps que ce genre de compagnie (avec son cortège de méthodes funèbres) ne disparaisse de la surface de la terre pour que l’on puisse passer à autre chose ? Cette loi finalement ne tombe-t-elle pas à pic ? Quelle plus belle fin ne peut-on rêver que de voir ces dinosaures finir leurs jours au bout de la corde qu’ils nous destinent ?

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On peut retirer l’échelle , le 17 décembre 2005 par LGoJac (0 rép.)

Ce texte clarifie, avec un calme qui me rend admiratif, l’incroyable bêtise de ceux qui nous gouvernent (celle la ne fait pas photo), mais aussi du semblant d’élite qui a été entretenu ces dix dernières années.

Seuls les entrepreneurs sont des creatifs ? Eh bien non, ce sont, on le voit bien dans le cas de cette loi, des tanches finies. Ils se tirent une balle dans la jambe. Comment nos extravagants marketeux, qui arrivent à faire dépenser des sommes monstrueuses à ces très grandes sociétés, ont-ils échoué dans la compréhension de ce vecteur immense qu’est le P2P ? Comment font-ils pour NE PAS VOIR que le marché des jeux PC s’est révélé en même temps que l’apparition des graveurs. Et depuis, le marché est tellement rémunérateur que les métrages de linéaires ne cessent d’augmenter dans les grandes surfaces. Idem pour la Play Station dont le succès, et les profits qui vont avec, n’aurait pas été le même sans la "pupuce" qui va bien pour y mettre des jeux copiés. Le constructeur a multiplié la période de vente de sa machine, les linéaires ont augmenté (donc les ventes aussi), et on continue de pleurer que le P2P fait perdre de l’argent.

Ce qui me fascine et me fait réellement peur, c’est que les tentatives réitérées de brevets logiciels, et maintenant ce projet de loi, montrent qu’en plus ils croient vraiement que leur principal vecteur de promotion est celui qui leur fait perdre des ventes. Ah le pinceau tiendra bon, on peut retirer l’échelle !

Je m’interroge toutefois sur l’histoire. Ces changements fondamentaux du marché (copie, informatique privée, décollage enfin des consoles, Internet et mainetant P2P) ont quelque chose comme 10 ans de pleine activité. Cela existait bien-sût avant, mais de façon assez confidentielle. Pourquoi les entreprises ne voient elles pas dix ans d’histoire. C’est hier pourtant 10 ans.

Dites moi, bande de supposés capables qui êtes décideurs, mais quel âge ont vos marketeux ? Savent ils lire le journal ? A moins... A moins que vous vous croyez assez géniaux pour INVENTER le marché. Mais ce n’est pas du génie, c’est une pathologie mentale. Si si, cherchez encore, AVANT DE SCIER LA BRANCHE ! ! !

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