Aux députés qui défendent la création, les créateurs et le public contre la monopolisation de la culture

Les associations de créateurs et utilisateurs de logiciels libres remercient les députés qui, dans des conditions difficiles, s’efforcent de préserver un droit d’auteur qui garantit l’indépendance et la rémunération des artistes, sans porter atteinte à la liberté et à la vie privée du public. Ils rappellent que les logiciels libres et les standards ouverts sont historiquement les seuls garants de la libre concurrence et de la liberté de créer et de diffuser sa création dans les conditions de son choix. Ils s’opposent à la criminalisation d’usages légitimes qui ne lèsent en rien les droits des créateurs.

Illustration EXB-WDC sous licence Creative Commons BY.

Paris, le 10 janvier 2005,

Jadis précurseur quant au droit d’auteur, la France est toujours en avant en matière de culture avec la reconnaissance de l’exception culturelle. Avec le projet de loi DADVSI qui procède d’un choix de société historique en ce qui concerne l’Internet, et donc la culture, saurons-nous être cette fois encore des précurseurs, en valorisant les usages de l’Internet au mieux des intérêts de tous, en préservant les intérêts des créateurs sans mettre à mal la création et les libertés individuelles ?

Nous, utilisateurs et créateurs de logiciels libres, remercions les députés qui ont fait le choix de défendre la culture et la création sans criminaliser le public, et ont su prendre en compte les menaces que le projet de loi DADVSI fait peser sur l’interopérabilité, les logiciels libres et l’indépendance technologique de la France. M. Bayrou, Mme Billard, M. Bloche, Mme Boutin, M.Carayon, M. Dutoit, M. Paul et M. Suguenot ont été particulièrement remarquables par leur courage, leur volonté de comprendre les enjeux, leur ténacité, ainsi que par le bel exemple d’indépendance du Parlement qu’ils viennent de donner. Nous apportons notre soutien à leur recherche de l’intérêt général au delà des clivages partisans.

Nous savons gré au ministère de la culture d’avoir finalement reçu les entreprises de l’industrie du logiciel libre. Il nous faut cependant insister sur le fait que les logiciels libres ne sont pas produits ou utilisés par les seules entreprises. On peut comprendre que le ministère de l’industrie s’intéresse principalement aux entreprises, mais on peut également s’étonner que le ministère de la culture considère comme quantité négligeable les acteurs des domaines liés à la connaissance, tels l’éducation, la recherche, les bibliothèques, mais aussi le service public et les collectivités, sans oublier le public et ses représentants associatifs, qui tous sont également créateurs et utilisateurs de logiciels et ressources libres. Encore discrets mais déjà omniprésents, ces logiciels sont utiles à toute la société et chacun peut en être utilisateur ou contributeur.

Cependant, alors que le Ministre de la Culture n’a cessé de marteler que le projet de loi avait été élaboré dans l’ouverture et la recherche de concertation, comment expliquer que toutes les demandes de représentants du logiciel libre pour siéger au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) aient été refusées depuis plus de trois ans ? Comment expliquer que l’audition des entreprises de l’industrie du libre ait eu lieu lors d’une interruption de séance, quelques heures avant la reprise des débats, ne laissant qu’une heure pour apprécier les propositions, et ne tenant guère compte des propositions faites en retour ? Comment expliquer que les "majors", via certains de leurs représentants auprès du grand public (Virgin et la FNAC), furent, elles, invitées jusque dans les locaux de l’Assemblée Nationale, alors même que les débats commençaient, et autorisées à offrir aux députés des conditions promotionnelles d’accès à leurs offres de téléchargement de musique sur l’Internet ?

Par ce communiqué nous réaffirmons notre attachement de toujours à la défense du droit d’auteur. L’affirmation selon laquelle ce projet de loi défendrait les artistes contre les tenants de la gratuité que nous serions censés être, procède de la désinformation. Nous assurons aux auteurs que nous ne considérons pas ce projet de loi comme un choix entre leur survie et la possibilité de pouvoir utiliser l’Internet. Ceci n’aurait d’ailleurs guère de sens puisque l’Internet se verrait alors vidé de son contenu artistique. Il n’appartient pas à nos associations de prendre position sur le mode de rémunération que la loi doit mettre en oeuvre pour permettre aux artistes de vivre de leur travail, et même - car cela devrait être possible - d’être nombreux à en vivre mieux. Nous avons cependant la conviction que c’est en préservant l’ouverture de l’Internet, l’interopérabilité, le libre usage des ressources techniques et la liberté pour chacun de contribuer à leur développement et à l’innovation en général, que pourront le mieux se développer à la fois la culture, les nouveaux usages et les nouvelles relations sociales du 21ème siècle.

En permettant, par des Mesures Techniques de Protection (MTP), d’interdire des usages, même strictement privés, d’un bien légalement acquis, ce projet de loi réduit considérablement les droits du public, en dépit des dénégations ministérielles. Qui pourra encore légalement adapter sa discothèque à des standards techniques en constante évolution ? Qui pourra encore faire légalement une compilation de ses morceaux préférés, légalement acquis ? L’objectif de ce projet de loi n’est pas simplement d’assurer que les oeuvres seront légalement acquises, mais bien plus qu’elles le seront à nouveau à chaque changement technique, décidé justement par ceux qui les vendent.

Le projet de loi va bien au-delà de ce que demande la directive européenne, qui ne concerne que la présentation, la copie et la distribution. En permettant par défaut d’interdire tous les autres usages, connus ou à imaginer, comme par exemple l’indexation des oeuvres, c’est l’innovation qui sera bridée - au moins en France - ainsi que les usagers, sans aucun bénéfice pour les créateurs.

Le projet totalitaire qui est soumis au vote des parlementaires, ainsi que l’interprétation que veut lui donner le Ministre de la Culture [1], revient aussi à légaliser, sans laisser d’alternative, les pratiques des majors qui n’hésitent pas, comme l’a fait récemment Sony-BMG, à espionner les usagers, à pirater leurs machines et à en compromettre la sécurité [2]. Ce que ce projet entérinerait à terme, c’est le contrôle des plates-formes et des infrastructures informationnelles par le cartel des majors de l’audiovisuel et de l’édition logicielle, au détriment de la liberté de communication, de la concurrence [3], de l’innovation technique, de la sécurité des infrastructures, de l’accès à la culture, de la culture elle-même, et finalement au détriment de la création artistique ravalée au rang d’une industrie culturelle. Les artistes et créateurs ont peu à y gagner. Ils ont a perdre, comme nous tous, leur liberté et leur âme.

Bien des solutions sont possibles pour éviter ces écueils et garantir aux créateurs des moyens d’existence. Mais la première condition est que ces solutions préservent la concurrence, la liberté de créer et la liberté de diffuser les créations, pour les créations artistiques comme pour les créations logicielles. La première condition est d’éviter que toutes nos infrastructures, matérielles et logicielles se retrouvent soumises aux diktats d’un cartel d’éditeurs qui contrôleraient toute création et diffusion. Nous demandons donc que la loi qui sera votée le soit avec des amendements qui garantissent l’interopérabilité des systèmes et l’ouverture des standards, qu’ils comportent ou non des MTP, ainsi que le droit de produire et de diffuser des logiciels libres - incluant, si la loi l’impose, des MTP - car ils ont historiquement montré qu’ils sont les seuls réels garants de l’ouverture et de la concurrence.

[1] Droits d’auteurs, droits voisins dans la société de l’information - Questions / Réponses (section 17), 19 décembre 2005.
« Les mesures de protection n’empêchent pas l’utilisation de logiciels libres pour écouter de la musique ou regarder un film, la diffusion du code source de la partie du logiciel (plug-in) qui décode l’oeuvre sera par contre limitée. »

[2] Real Story of the Rogue Rootkit, Bruce Schneier, Wired News, 17 novembre 2005.
Notons qu’il s’agit là de piratage au sens propre du terme, c’est-à-dire d’atteinte à l’intégrité des installations, à l’insu de leur propriétaires.

[3] Les maisons de disques soupçonnées d’entente sur le prix de la musique en ligne, Philippe Crouzillacq, 01net, 26 décembre 2005.
« L’enquête du procureur Spitzer [procureur général de l’Etat de New York] porterait sur la manière dont les maisons de disques fixent (en amont) les prix de gros pour le téléchargement de musique sur Internet. »

À propos des organisations signataires

AFUL (www.aful.org)
L’AFUL, Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres, est une association loi 1901 dont le but majeur est la promotion de systèmes d’exploitation libres de types UNIX (comme Linux et les dérivés BSD) et des standards ouverts. Elle regroupe des utilisateurs (professionnels ou particuliers), des sociétés (éditeurs de logiciels ou de documentations, sociétés de services) et d’autres associations qui poursuivent des objectifs similaires.
Contact presse :
Bernard Lang, Vice-Président, bernard.lang(à)aful.org , +33 6 62 06 16 93

ADULLACT (www.adullact.org et adullact.net)
Née fin 2002, l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales s’est donnée pour tâche de constituer, développer et promouvoir un patrimoine commun de logiciels libres métiers, afin que l’argent public ne paie qu’une fois. L’Association compte notamment 1591 structures territoriales adhérentes. L’Adullact dispose d’une équipe permanente, pour encourager et aider les membres à mutualiser leurs développements sur la plate-forme adullact.net (225 projets). Structure unique en son genre, l’Adullact était accréditée pour le Sommet Mondial de Tunis.
Contact presse :
François Elie, Président, francois(à)elie.org ,+33 6 22 73 34 96

CETRIL (www.cetril.org)
CETRIL, Centre Européen de Transfert et de Recherche en Informatique Libre est une association loi de 1901 fondée en 2001. Basée à Soissons, elle est financée par des fonds publics (SGAR, CR Picardie, CG Aisne, CA du Soissonnais). Composée de six permanents et d’une équipe de bénévoles, son objectif est la promotion des Logiciels Libres et de leurs usages en contribuant activement aux progrès scientifiques et techniques des entreprises, des collectivités et du monde de l’éducation.
Contact presse :
François Désarménien, Directeur Technique, francois.desarmenien(à)cetril.org , +33 3 23 76 76 86

SCIDERALLE (scideralle.org)
SCIDERALLE (Recherche Appliquée en Logiciels Libres pour l’Éducation) est une association sans but lucratif ayant pour but de développer, promouvoir, faciliter la mise en oeuvre et les usages des ressources et logiciels libres dans les secteurs de l’enseignement, de la formation, du milieu associatif et plus largement de l’éducation populaire.
Contact presse :
Jean Peyratout, Président, jean.peyratout(à)abul.org +33 6 82 05 99 18

Mozilla Europe (mozilla-europe.org)
Établie en janvier 2004 par des contributeurs de longue date à Mozilla de plusieurs pays européens, Mozilla Europe a pour but de promouvoir, développer et contribuer au projet logiciel open source Mozilla. Mozilla Europe est basée à Paris, France et est un affilié international de la Mozilla Foundation.
Contact presse :
Tristan Nitot, Président, nitot(à)mozilla-europe.org +33 6 11 47 05 72

Commentaires

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Aux députés qui défendent la création, une réponse à rddv ? , le 12 janvier 2006 par fun sun (0 rép.)

Salut,

Très beau texte et finement pensé... Bravo.

Juste une question, une réponse à l’invitation des bloggueurs par rddv ?

Répondre à ce message

Aux députés qui défendent la création, les créateurs et le public contre la monopolisation de la culture , le 12 janvier 2006 (0 rép.)

Bonjour, à mon humble avis, c’est :

Paris, le 10 janvier 2006...

pas 2005

bref...

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Un problème de fond ? , le 12 janvier 2006 par papa-legba (1 rép.)

L’ancienne différence -pour les "un temps soit peu adpetes de l’informatique" que beaucoup d’entre nous sommes- de termes incipides entre "logiciel" et "progiciel", me revient aujourd’hui avec ceux de "protocole" et "logiciel".

La mention légale leurs correspondant doit-elle être scindée en deux parties ?

"Logiciel" ne devenant alors que le travail final de programmation, une fois l’ensemble de la plateforme pré-établie.

Mais qu’en-est-il alors des "protocoles" ? Deviennent-ils alors le siège de toute la réglementation économique à consonnace "client-serveur"...euh, pardon, "client-produit" ?...

Bref, si transférer le risque (brimation des libertés vers l’ouverture d’un marché économique) d’un point à un autre (des ventes de logiciels au contrôle des protocoles...) est réellement important... Prévenez-moi !

Le fond du problème n’est-il pas que l’ardente passion créatrice développée par l’informatique et Internet ont contribué à la création d’un nouvel espace -le WEB...- dont aucune nation ne peut se réclamer la détentrice ; sorte de "no-mans-land" économique, et virtuel bien sûr... en temps de guerre bien sûr !

Mais dans au royaume de l’info, l’ informaticien est roi, n’est-il pas ?

Amicalement, papa-legba.

-----> Nan ! TV ! - Web TV alterno nantaise

Un problème de fond ? , le 5 août 2006 par malanda ecclesiaste

oui, j’ai des serieuse problèmes de fond pour evoluer dans ma formation d’infomaticien. si vous pouvez m’aider avec quelque chose ou une proposition quelconque je serais ravis.

merçi

-----> problème de fond

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