Critical Mass et moi
J’aime bien ce concept de masse critique.
D’infimes éléments s’ajoutent doucement, lentement, petit à petit... Et puis un jour tout bascule et c’est irreversible. Le hasard ou le destin a désigné l’élu, un élément que rien ne distingue des précédents si ce n’est que c’est lui qui va assumer la responsabilité du changement d’état, comme ça, sans même s’en rendre compte.
Un peu comme ces expériences que l’on faisait gamin en cours de chimie, goutte à goutte, jusqu’à que le liquide passe du violet à l’incolore (ou le contraire, mes souvenirs sont volatiles).
Citadin automobiliste ou mieux piéton, peut-être avez-vous été comme moi un jour le témoin du passage d’un joyeux cortège bigaré de cyclistes ? Où je vis c’est chaque dernier vendredi du mois en fin de journée qu’ils envahissent la ville pour une promenade à travers la cité.
Deux roues, trotinettes, rollers, n’importe quoi qui roule à l’huile de genou. Ils sont parfois déguisés, leurs montures décorées, le sourire aux lèvres. Vous ne pouvez vous empêcher de vous arrêter pour les regarder passer. Alors ils vous interpelent gentiment : "Rejoignez-nous avec votre vélo !" disent-ils simplement en choeur.
Derrière il y a cette idée de s’approprier autrement l’espace urbain, de lutter contre la polution, etc. Mais le "message", si message il y a, serait donc avant tout une invitation à participer. L’idée c’est donc de passer un bon moment ensemble en bougeant un peu son corps par la même occasion. Difficile de résister non ?
Bien entendu si le nombre devient conséquent cela commencera à faire sens (d’où le nom Critical Mass). D’ailleurs désormais la municipalité, bon gré mal gré, les accompagne pour baliser le parcours (et aussi calmer les impatientes ardeurs des quatre roues momentanément immobilisées).
L’irruption de Critical Mass dans le monde des transports me fait inévitablement penser à celui des logiciels libres dans le monde tranquille des logiciels.
Pas de chef. Pas de course, donc pas de classement. Une utilisation d’internet pour s’informer et s’organiser. Un adversaire désigné (la voiture, ou tout du moins son omnipotence). Une irritation de ceux qui sont de l’autre côté de la barrière (manifestée ici par d’aussi récurrents que ridicules coups de klaxons). Un simple dénominateur commun : le vélo. Une destination moins importante que le chemin qui y mène. De l’art de faire du politique sans avoir l’air d’y toucher. Une ambiance festive. Un chien dans un jeu de quilles. Une irréverence pour les codes en vigueur qui apparaissent du même coup pas si naturels que ça. Une belle occasion de faire des rencontres en toute décontraction. Une alternative. Une forte capacité de séduction. Pas de clivage politique, l’acceptation de tous peu importe leurs origines et leurs contradictions, pas la moindre notion d’argent apparente. L’idée que c’est possible si un seuil est atteint. Des manifestations modestes mais planétaires. Une incitation à être vous aussi des leurs la prochaine fois...
Le prochain dernier vendredi, c’est décidé, j’enfourche ma bicyclette, avec ou sans Paulette...
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