Manifeste pour une société libre
Une galaxie d’intérêts accroît actuellement son appropriation et son contrôle de la créativité. Ils affirment avoir besoin de nouvelles lois et de nouveaux droits afin de contrôler idées et concepts et de les protéger de toute exploitation illicite. Ils disent que cela enrichira nos vies, créera de nouveaux produits et sauvegardera la possibilité d’un futur prospère. Mais c’est un désastre complet pour la créativité, dont la bonne santé dépend d’un échange continuel, libre et ouvert d’idées entre le passé et le présent.
En réponse, nous souhaitons défendre l’idée d’un espace créateur de concepts et d’idées libres de toute appropriation particulière.
1. Le profit est un nouvel objet d’affection. En fait, les profiteurs proclament maintenant sans vergogne qu’ils sont les vrais amis de la créativité et des créateurs. Partout, ils déclarent : « nous soutenons et protégeons idées et concepts. La créativité est notre métier et entre nos mains elle est en sûreté. Nous sommes les vrais amis de la créativité ! »
2. Non contents de ces déclarations d’amitié, ces profiteurs sont aussi désireux de mettre en pratique ces penchants pour la création . « Les actes parlent plus que les mots » dans la culture capitaliste. Pour exprimer leur affection, des profiteurs utilisent la loi, comme celle sur la propriété des droits intellectuels, pour s’emparer des concepts et des idées et les protéger de ceux qui cherchent à en faire un mauvais usage. Alors que nous sommes morts au monde la nuit, ils pillent gaillardement la propriété intellectuelle à un degré effarant. De plus en plus l’espace intellectuel passe sous leur contrôle exclusif.
3. Que les profiteurs soient maintenant si protecteurs de la créativité, cherchant jalousement à protéger concepts et idées, ne manque pas de susciter la suspicion. Il se proclament des amis mais nous savons que l’amitié, ce n’est pas la dépendance. Ce n’est pas la même chose de dire : « Je suis un véritable ami parce que j’ai besoin de toi » que de dire : « J’ai besoin de toi parce que je suis un véritable ami. ». Mais comment sortir de cette ornière ? Dans toute relation d’amitié nous devrions nous demander : « Les deux partenaires en profitent-ils mutuellement ? ».
4. Les profiteurs tirent clairement bénéfice de leur amitié nouvelle avec la création, lorsqu’elle est mesurée à l’aune de leur insatiable soif de profit. Au contraire des objets matériels, concepts et idées peuvent être partagés, copiés et réutilisés sans diminution. Quel que soit le nombre de personnes qui utilisent et interprètent un concept particulier, l’approche initiale de son créateur n’est ni exclue, ni réduite. Mais à travers l’utilisation de la propriété intellectuelle par l’intermédiaire du copyright, des licences et des marques commerciales, concepts et idées peuvent être transformés sous des formes qui sont contrôlées et appropriées. Une pénurie artificielle de la créativité peut alors être mise en place. On peut faire beaucoup d’argent quand les flots créatifs de connaissance et d’idées deviennent des biens rares (difficiles d’accès) à distribuer sur les marchés. Et d’une manière croissante, la propriété intellectuelle permet aux profiteurs une ample accumulation de richesses.
5. Pour beaucoup d’entre nous l’idée de la loi sur la propriété intellectuelle évoque encore les visions romanesques de l’artiste ou de l’écrivain solitaire protégeant ses innovations. Il n’est alors pas surprenant que nous tendions à considérer les lois sur la propriété intellectuelle comme quelque chose qui défende les droits et les intérêts du créateur. Cela fut peut-être le cas en des temps éloignés et révolus. Mais cette vision romanesque est maintenant bien malade avec l’exploitation récente des œuvres intellectuelles. Les créateurs sont devenus des employés et chaque idée et concept qu’ils élaborent sont captés et appropriés par leur employeur. Les profiteurs utilisent la propriété intellectuelle pour thésauriser l’expression créative de leurs employés ou d’autres. Et qui plus est, ils exercent de continuelles pressions pour étendre l’application des lois sur la propriété intellectuelle sur des durées plus longues.
6. La « multitude » est alors empêchée d’utiliser et de réinterpréter des domaines entiers de concepts et d’ idées. Les profiteurs utilisent les technologies numériques pour renforcer la législation sur le droit de copie et les licences grâce au code qui fonctionne sur les ordinateurs et les réseaux. Reposant sur des logiciels de gestion numérique des droits [1], les œuvres de création sont verrouillées et seuls les profiteurs ont les clés. Ce qui interdit la reproduction, la modification ou le réemploi d’un nombre croissant d’œuvres, qui se trouvent de cette manière sous contrôle. La liberté d’utiliser ou de réinterpréter une œuvre est restreinte par des barrières fondées légalement mais renforcées technologiquement. En cette époque de capitalisme technologique, les accès publics au flux des concepts et des idées et le mouvement de création ont été solidement verrouillés.
7. Cette évolution est un désastre absolu pour la création, dont la santé dépend d’un dialogue constant et de la confrontation entre concepts et idées du passé et du présent. Il est honteux que la multitude créatrice soit exclues de l’utilisation des concepts et des idées. L’ œuvre de création n’est pas seulement le produit d’un unique créateur. La création ne peut subsister dans un néant social. Elle doit toujours à l’inspiration et à l’œuvre préalable d’autrui, penseurs, artistes, scientifiques, professeurs, amants/maitresses ou amis. Concepts et idées sont dépendants de leur existence sociale et il ne peut en être autrement.
8. On peut faire une analogie avec le langage courant - le système de signes, symboles, gestes et signifiants utilisés pour la compréhension mutuelle. Le langage parlé est partagé par nous tous ; il n’est à personne en particulier et libre. Mais imaginez le désastre si cela n’était plus vrai. La dystopie [2] de George Orwell, 1984 - et l’agression faite à la pensée libre par la « novlangue » - permet de l’illustrer. De la même manière, le contrôle et l’appropriation des idées et des concepts est un grave danger pour ce que nous appelons affectueusement notre libre-arbitre - c’est la tendance nouvelle de la pensée créatrice et de l’expression.
9. La multitude créatrice peut décider soit de se conformer soit de se rebeller. En se conformant elle devient créativement inerte, incapable d’élaborer de nouvelles synergies et idées, seulement consommatrice de produits standardisés qui sature de plus en plus la vie culturelle. En se rebellant elle continue d’utiliser des concepts et des idées malgré la législation sur la propriété intellectuelle, et ses membres sont alors taxés de pirates, de détrousseurs du bien d’autrui voire même de terroristes. ces membres sont traduit comme des criminels devant les tribunaux du pouvoir global d’état. En d’autres termes, les profiteurs décrète un état d’exception permanent qui est ainsi utilisé pour justifier l’usage coercitif du pouvoir d’état contre ceux qui se rebellent. Comme nous en discuterons plus tard, un nombre croissant de créateurs répliquent aussi par une résistance active contre la situation actuelle grâce à la mise en place d’un espace alternatif de création d’idées et de concepts.
10. Il y aura des objections immédiates à tout ce que nous venons de dire. Les profiteurs se feront prosélytes et diront : « S’il n’y a pas de propriété privée de la création, il ne peut y avoir d’incitation à produire ! » L’idée que la propriété particulière de la connaissance et des idées promeut la création est un concept honteux, aussi crédible qu’il puisse paraître dans la vision réductrice des profiteurs. Affirmer que la créativité prospèrera si la liberté d’utiliser idées et concepts est niée, c’est clairement dépasser les bornes. Après s’être esclaffés brièvement, nous devrions remettre tout cela dans le bon sens.
11. Selon ce postulat « incitatif », il ne peut y avoir eu de créativité (p. ex. l’art, la musique, la littérature, le design, la technologie) avant que les profiteurs ne s’approprient et ne contrôlent nos concepts et nos idées. Ce n’est qu’une fiction. Mais nous pourrions dire que l’histoire est pleine d’inventions qui font naître le doute à propos de précédentes incarnations de la créativité et de la création. Le postulat « incitatif » implique malgré tout aussi qu’il ne peut y avoir de créativité en marche actuellement en dehors du système de la propriété intellectuelle. Nous sommes heureusement ici les acteurs et témoins de notre propre histoire. Nous devons commencer à savoir ce que nous avons toujours su - la créativité n’est pas réductible à l’exploitation de la propriété intellectuelle.
12. Un nouveau mouvement global, constitué de groupes reliés en réseau qui agissent grâce à un ensemble varié de moyens de création - musique, art, design, logiciel - apparaît en ce moment. Ces groupes élaborent des concepts, des idées et de l’art qui existent en dehors du régime actuel de la propriété intellectuelle - par exemple, les travaux de la communauté Libre/Open Source qui peuvent être examinés, confrontés, modifiés, expérimentés. Là, connaissance et idées sont partagées, contestées et réinterprétées entre créateurs et entre des amis. Comme les symboles et les signes du langage, leurs concepts et leurs idées sont communs et sans propriétaire. Contre les machinations du profit, ces groupes sont en train de construire un modèle alternatif réel et crédible d’une vie créative.
13. Par les principes "d’attributions" et de "partage à l’identique", les idées et les travaux antérieurs sont livrés à la reconnaisance de ces communautés. Ce qui signifie que, bien qu’un travail puisse être copié, modifié et redéfinit en un nouveau projet, l’oeuvre antérieure est reconnue pour sa contribution dans la globalité de la nouvelle création. Attribution et "partgae à l’identique" sont le principe constitutif des mouvements Libre/Open source, les chromosomes d’un nouveau mode de création induit par ces pratiques sociales.
14. Ces mouvements adoptent un ingénieux mode de dispersion virale grâce aux licences publiques connues sous le nom de copyleft. Ce qui évite que les concepts et les idées ne se voient appropriées, tout en garantissant que les futures synergies fondées sur ces concepts et idées soient également utilisables et modifiables par d’autres. Alors que les lois sur le copyright protègent contre la modification et la réutilisation des concepts et des idées, le copyleft assure qu’ils restent accessibles en évitant qu’ils ne soient de simples biens de consommation. Ainsi, le copyright (tout droit réservé) est freiné par le copyleft (tout droit reversé). Ceci constitue dorénavant le meilleur chemin pour la créativité - on peut maintenant la regarder en face.
15. Nous pensons que la multitude créatrice devrait embrasser et défendre les idées et les pratiques de ces groupes et le modèle créatif qu’ils représentent. De même, nous, qui sommes déjà une multitude, devons défendre ces idées et ces pratiques. Car seul la multitude créatrice pourra déterminer si cette mutation de notre temps est viable.
16. Tout comme la violence des profiteurs de la propriété intellectuelle cherche à s’intensifier, un véritable contre-pouvoir commence à emmerger. Car la vision et les pratiques de cette arborescence de groupes gagnent en puissance, à travers une grande variété de formes d’expression. Elles offrent à voir un champ créatif en formation qui s’appuie sur des concepts et des idées librement partagés entre amis. Ces groupes agissent d’une manière qui est comptable de notre époque et, espérons-le, pour le bénéfice d’une possible époque à venir. - la créativité créée de la resistance au présent.
v. 1.5.2
[1] DRM ou Digital Right Management. Ndt.
[2] La dystopie est l’oposée d’une utopie : la société du futur n’est plus radieuse et idylique mais chaotique et désenchantée. Quelques romans dystopiques : Fareinheit 451 (R. Bradbury), Le meilleur des mondes (A. Huxley), Tous à Zanzibar (J. Brunner). Ndt.
Commentaires
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Michel Rocard ferraille contre le brevet logiciel
, le 19 février 2005 par jurisjazz
(0 rép.)
Microsoft veut tuer Linux via SCO=> MICROSOFT=0 ; LINUX =1
, le 11 juin 2004 par Pierre
(1 rép.)
Quels sont les partis qui promeuvent le logiciel libre ?
, le 7 juin 2004 par Paul
(0 rép.)
L’Europe à dépensé 150 milliars d’euros en licence Microsoft !
, le 21 mai 2004 par Pierre
(9 rép.)
> Libre avec 10 millions de chômeurs en plus.
, le 19 mai 2004
(7 rép.)
> Manifeste pour une société libre
, le 4 mai 2004 par Robin Millette
(0 rép.)
> Pour un art libre
, le 28 avril 2004 par Etienne
(0 rép.)
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